Les bienfaits de la prise de recul
Mon récit de deux semaines de (presque) sevrage du bureau et des projets en cours, et le point sur ses bienfaits.
Le contexte
Mes dernières vacances remontent à juin 2007, 12 ans, rien que ça. Depuis, je ne crois pas me souvenir qu'il se soit passé un seul jour sans que je ne travaille, à 3 ou 4 exceptions près et de deux jours max.
J'ai un rythme de travail de 8 à 15h par jour en moyenne bien qu'il m'arrive d'aller au delà. Je suis le premier à arriver au bureau le matin à 7h35, et j'en pars rarement avant 20h30. Le week-end, je dors un peu plus, j'arrive plus tard, vers 9h30~10h, parfois même 11h. Un peu plus de sommeil c'est bon pour le cerveau aussi :)
Il m'arrive quand même parfois de bosser beaucoup moins le week-end. Je peux me faire une sortie moto un dimanche, mais revenu à 17h, me doucher et entamer 6 heures de boulot derrière. Je peux tout aussi bien jouer 5h d'affilée avec mon fils (j'ai d'ailleurs installé Fortnite spécifiquement pour jouer avec lui) ou faire d'autres activités familiales. Mais, il m'arrive aussi parfois de bosser beaucoup plus et d’enchaîner 20h d'affilée. Dans tous les cas, pas un jour ne passe sans que je ne travaille, ni que je ne sois disponible au cas où pour le travail. Ces 12 années ont connues quand même quelques exceptions, j'ai été sportif par le passé, j'ai eu des coupures d'un à deux jours pour des déplacements internationaux.
Ça me plait, je peux me le permettre, j'en ai pris le rythme et je le vis bien. Pour autant j'en entends tout le temps des critiques, de mes amis, de ma famille, même de mes employés : tu devrais te reposer ; tu dois lever le pied ; prends des vacances, vraiment, ça te fera du bien ; tu vas faire un burnout etc.
La prise de conscience
Si j'avais dû faire un burnout, je l'aurais fait depuis longtemps, j'ai ce rythme depuis le début de l'adolescence, c'est à dire plus des deux tiers de ma vie aujourd'hui. Même notre DRH me faisait personnellement la chasse car depuis la création de la boîte je n'ai pas posé un seul jour, je lui rappelle sans cesse que c'est légal : je suis associé. Et plus récemment un de mes associés, le CEO, s'y est mis aussi, il se sont ligués avec la DRH sur ce coup. Après tous leurs arguments, condensé de toujours ces mêmes arguments que j'ignore systématiquement, ce jour là j'en ai entendu un nouveau de la part de ma DRH : Nico, si tu ne le fais pas pour toi fais le pour tes équipes : tout le monde est trop dépendant de toi, t'es dispo tout le temps non-stop, tu ne leur donnes pas une bonne image en tant que leader, inconsciemment en bossant non-stop tu peux contribuer à trop les faire bosser par culpabilité vis-à-vis de ton temps de travail, et aussi question confiance : tu ne leurs a jamais laissé l'occasion de te montrer qu'ils peuvent se débrouiller sans toi. Et là, elle avait carrément raison. Même si ma conception du leadership induit automatiquement de bosser plus que les autres, atteindre l'extrême n'est pas forcement bon non plus pour l'équipe. Pour autant je ne pouvais pas, ni ne voulais pas m'arrêter de bosser. Concrètement j'aurais carrément été capable de monter une autre startup à coté si on m'avait sevré de Jellysmack plus de quelques jours.
Le plan
Mon associé m'a donc trouvé le parfait compromis : bosser sur un nouveau futur projet dont il avait eu l'idée et pour lequel il ne voyait, ni ne voulait que moi sur le coup pour l'initier et sortir sa v1 (secret défense pour le moment), totalement en mode skunk works.
Première phase du plan de coupure : passer une semaine chez moi, en coupure totale avec le reste de la boîte. Seconde phase : monter une semaine au bureau de Paris pour être en immersion avec les équipes opérationnelles qui seront les utilisateurs finaux de ce projet pour mieux comprendre leur travail quotidien, en tentant d'éviter au maximum de travailler avec l'équipe Tech parisienne. Soit deux semaines sans CTO dans l'équipe Tech.
C'était ces deux dernières semaines, nous sommes le week-end avant ma reprise officielle au bureau cortenais avec mes ptites équipes locales. Pour être honnête j'écris ces lignes depuis le bureau, mais il est vide c'est dimanche, ça ne compte pas.
Le déroulé et le bilan
Quelques jours avant l'immersion en sous-marin j'avais coupé Slack en prévenant tout le monde que je ne serais pas du tout disponible durant les 2 prochaines semaines, j'ai même désigné officiellement un CTO par intérim en la personne de mon Head of Infra, très expérimenté et avec qui je suis totalement aligné. Dès le premier matin, mon associé, celui là même qui m'avait interdit toute intervention sur un projet régulier de la boîte, est venu me solliciter à propos de l'un d'entre eux xD Rien de méchant, mais c'était juste pour l’anecdote.
Des process de recrutement dans l'équipe Tech étaient en cours, et en tant que CTO, et surtout par la taille raisonnable de l'équipe Tech, environ 30 personnes aujourd'hui, j'insiste pour assister à chaque recrutement. Pas nécessairement pour le niveau technique, mais pour jauger mentalement la personne, la connaître, me la projeter dans l'équipe, car pour moi la mentalité d'une personne et son niveau de sociabilité sont bien plus importants que ses compétences techniques. J'ai donc pris au téléphone, et validé l'embauche de deux candidats pour le bureau de Paris, mais grande première pour moi : j'ai laissé mes leads à Corti recruter un profil sans que je ne lui parle. J'ai juste eu droit à un petit débriefing de l'entretien par téléphone avec un lead qui l'a entretenu, et j'ai validé le salaire pour l'offre d'embauche. Je vais le découvrir mardi, le jour de son arrivée dans la boîte.
Pendant mon absence, j'ai carrément grandi en management, comme si j'avais encaissé d'un coup tous les points d'expériences accumulés au fil des années mais en attente parce que j'avais trop mon nez dans mes projets pour que ça décante. En prenant du recul et en coupant les ponts avec mes équipes locales (j'ai quand même fait quelques points RH avec des leads) et les projets en cours, j'ai mieux apprécié certaines situations managériales auxquelles j'avais fait face les semaines précédentes et j'ai pu identifier certains de mes défauts. Aussi lors de ma semaine parisienne, j'ai eu la lourde, très lourde tâche d'annoncer à mon VP of Engineering toujours en période d'essai, que nous n'allions pas le garder. Depuis deux ans et demi (à date de la première embauche dans le département Tech) ce n'est que la deuxième fois que ça se produit. La toute première fois, c'était très dur mais la personne en question s'essayait elle même et a fini par se réorienter, cette personne m'avait même dit quand je lui avais annoncé qu'on ne la garderait pas "tu sais, je serais parti de moi même avant la fin de la période d'essai, ce n'est pas pour moi, ça ne le fait pas, et je compte me réorienter". Malgré tout, je n'aime pas annoncer aux gens qu'on ne les gardera pas, je pense (tout du moins j'espère) que personne n'aime ça, mais moi je n'aime vraiment, particulièrement pas ça, à fortiori quand on apprécie humainement la personne. En réanalysant l'entretien après coup, en analysant d'autres sujets RH des semaines précédentes, la tête reposée, je me suis aussi rendu compte de certains de mes défauts managériaux : vouloir persister avec les mauvaises personnes et se forcer à les garder en espérant que ça change est une mauvaise chose, pour elle, comme pour l'équipe, donc in-extenso, pour la boite.
Concernant les personnes de mes équipes, j'ai toujours eu confiance en leurs capacités, sinon elles ne travailleraient pas pour moi, mais j'ai pu le leur montrer réellement en les laissant se passer de moi et en n'étant pas derrière eux, sur ce point aussi j'ai personnellement pris des points d'expérience.
Ce n'étaient pas des vacances je n'ai pas arrêté de travailler, j'ai même travaillé beaucoup plus que d'habitude, mais c'était bien une prise de recul en coupant plus ou moins les ponts avec les équipes et surtout les projets. Aujourd'hui j'ai un sacré déficit à rattraper sur l'avancée technologique et l'actualité dans la boîte, mais in fine j'ai pas mal grandi sur des sujets bien plus globaux et c'était une très bonne choses.
Un jour je prendrai des vraies vacances, j'ai promis, mais pour l'instant toutes les conditions de mon coté ne sont pas encore réunies pour ça.